Le 10 novembre, dans sa nouvelle décision Peace River Hydro Partners c Petrowest Corp., 2022 CSC 41, la Cour suprême du Canada (CSC) a confirmé les décisions de la Cour suprême de la Colombie-Britannique (CSCB) et de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique (CACB) de rejeter une demande de suspension d’instance relativement à la poursuite intentée par un séquestre nommé par le tribunal afin de recouvrer des sommes dues à la débitrice.

Cette décision confirme qu’un séquestre doit, de manière générale, respecter les conventions d’arbitrage; toutefois, les faits en l’espèce peuvent pousser un tribunal à refuser d’accorder une suspension d’instance lorsque la réclamation du séquestre serait arbitrable en vertu de la loi provinciale sur l’arbitrage. Plus précisément, un tribunal peut refuser d’accorder une suspension d’instance si une convention d’arbitrage entre en conflit avec les objectifs de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité (LFI), comme la célérité et l’efficacité.


Les faits 

Des clauses d’arbitrage ont été incluses dans diverses ententes et divers contrats de sous-traitance et bons de commande entre Peace River Hydro Partners (PRHP) et plusieurs entités de Petrowest (collectivement, Ententes).

La Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a nommé un séquestre (Séquestre) pour gérer les actifs et les biens de Petrowest et de ses sociétés affiliées en vertu du paragraphe 243(1) de la LFI. Le Séquestre a ensuite cédé les biens des sociétés affiliées (mais pas de Petrowest) au profit des créanciers dans le cadre de la faillite et est devenu leur syndic de faillite.

Le Séquestre a intenté une poursuite civile contre PRHP et ses entités liées (Défenderesses) afin de recouvrer les fonds qu’il estimait être dus à Petrowest et à ses sociétés affiliées en vertu des Ententes. Plutôt que de se défendre contre la poursuite civile intentée par le Séquestre, les Défenderesses ont demandé à la CSCB de suspendre l’instance civile en vertu du paragraphe 15(1) de l’Arbitration Act de la Colombie‑Britannique au motif que les clauses d’arbitrage des Ententes régissaient le différend.

La décision de la CSCB

En première instance, la juge en chambre a conclu que le Séquestre était devenu une partie aux Ententes étant donné que l’ordonnance de mise sous séquestre lui conférait le pouvoir (et les pouvoirs connexes) d’exercer des recours pour recevoir et recouvrer les sommes dues à Petrowest et à ses sociétés affiliées. Toutefois, la juge en chambre était d’avis qu’elle avait compétence en vertu de l’article 183 de la LFI, et compétence inhérente, pour refuser une suspension de séance en vertu du paragraphe 15(2) de l’Arbitration Act. La suspension a été refusée au motif que les arbitrages envisagés auraient « comprom[is] grandement » l’atteinte des objectifs de la LFI.

La décision de la CACB

La CACB a estimé qu’un séquestre n’était pas nécessairement lié par les contrats exécutoires du débiteur et pouvait choisir de ratifier de tels contrats ou d’y renoncer. Bien que le séquestre eût adopté les Ententes, il pouvait renoncer aux clauses d’arbitrage par l’effet de la doctrine de la « séparabilité » en vertu de laquelle les clauses d’arbitrage ne sont pas traitées comme des modalités contractuelles, mais comme des conventions distinctes. La CACB a jugé que le Séquestre avait nécessairement renoncé aux « conventions d’arbitrage » lorsqu’il avait intenté une poursuite civile. Par conséquent, il n’y avait aucune raison en vertu des Ententes pour les Défenderesses d’insister pour un arbitrage. Le pourvoi a été rejeté.

La décision de la CSC

Les neuf juges de la CSC ont convenu à l’unanimité de rejeter le pourvoi.

La juge Côté (au nom des cinq juges majoritaires) a appliqué un cadre d’analyse en deux volets afin de déterminer si une suspension d’instance en faveur de l’arbitrage devrait être appliquée dans le cadre d’une poursuite civile :

  • la partie qui requiert la suspension doit établir que les conditions préliminaires à la suspension obligatoire sont remplies;
  • la partie qui cherche à se soustraire à l’arbitrage doit démontrer, suivant la prépondérance des probabilités, qu’une exception prévue par la loi s’applique.

Dans le cadre de son examen des conditions préliminaires, la juge Côté a rejeté l’analyse de la CACB selon laquelle un séquestre n’est pas une partie aux conventions d’arbitrage conclues par le débiteur. Elle a estimé que, comme la fonction d’officier de justice qu’occupe un séquestre ne l’empêche pas d’être une partie à une convention d’arbitrage et que l’article 15 de l’Arbitration Act n’empêche pas les non-signataires d’être considérés comme des parties, il n’y avait aucune raison de principe pour laquelle un séquestre ne pourrait être une partie et qu’une conclusion qui empêcherait l’arbitrage en cas de mise sous séquestre ébranlerait l’une des pierres angulaires de l’arbitrage, soit l’autonomie des parties.

Dans le cadre de l’examen des exceptions prévues par la loi, la juge Côté s’est penchée sur le paragraphe 15(2) de l’Arbitration Act, qui permet à un tribunal de rejeter une demande de suspension d’instance si une convention d’arbitrage est « nulle, inopérante ou non susceptible d’être exécutée ». Elle a conclu que l’insolvabilité, en soi, ne constituait pas un motif suffisant pour ne pas exécuter une convention d’arbitrage et qu’une convention d’arbitrage devrait être exécutée dans tous les cas, sauf les plus manifestes; toutefois, elle a également estimé que les articles 183 et 243 de la LFI conféraient à un tribunal le pouvoir de déclarer « inopérante » une convention d’arbitrage si elle menait à un processus arbitral qui compromettrait le règlement ordonné et efficace d’une mise sous séquestre.

Cet examen est hautement factuel. En l’espèce, la suspension a été refusée à juste titre, étant donné que la « nature chaotique » du processus arbitral envisagé aurait miné les objectifs de la LFI, comme l’efficacité et la célérité.

Le juge Jamal (au nom des quatre juges minoritaires) a rédigé une brève décision concordante. Selon lui, le Séquestre était habilité par l’ordonnance de mise sous séquestre à renoncer aux droits contractuels de Petrowest et de ses sociétés affiliées et l’effet juridique de la renonciation s’est appliqué lorsque le Séquestre a intenté une poursuite civile. Il a expliqué que, malgré ce point de divergence, il était d’accord avec l’analyse de la compétence du tribunal par la juge Côté en vertu des articles 183 et 243 de la LFI selon laquelle une convention d’arbitrage serait inopérante et la demande de suspension d’instance devrait donc être rejetée.

Répercussions

La décision majoritaire de la CSC confirme que les conventions d’arbitrage d’un débiteur sont présumées contraignantes pour un séquestre. Toutefois, ce dernier ne peut être tenu à l’arbitrage si le processus arbitral compromet le déroulement ordonné et efficace de la mise sous séquestre. C’est pourquoi une partie contractante qui souhaiterait vraiment avoir recours à l’arbitrage d’une réclamation pouvant être présentée par le séquestre d’une partie adverse insolvable devrait négocier des clauses d’arbitrage qui peuvent être exécutées avec célérité et efficacité, de façon à respecter les objectifs de la LFI. 

La décision majoritaire de la CSC souligne que l’application (ou non) de clauses d’arbitrage à une poursuite civile intentée par un séquestre dépend grandement des faits, laissant ainsi entendre que les futurs différends sur le bien fondé de l’arbitrage seront traités au cas par cas.

Les futures causes détermineront les circonstances dans lesquelles les clauses d’arbitrage seront (et ne seront pas) exécutées dans d’autres contextes d’insolvabilité, comme des restructurations en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies.



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